Nous avons pris connaissance du programme de l’option de Sciences économiques et sociales que pourront choisir les élèves de seconde à la rentrée scolaire prochaine. Après l’avoir examiné attentivement et en avoir débattu au sein de nos associations professionnelles respectives, il en ressort une immense déception et beaucoup d’incompréhension.
Monsieur le Ministre, pourquoi ce programme n’a-t-il pas été préparé dans les conditions qu’exige toute réforme pédagogique digne de ce nom ? Pourquoi les enseignants de Sciences économiques et sociales, ceux-là même qui transmettent ces savoirs et savoir-faire, n’ont-ils pas été davantage associés ?
Une telle défiance vis-à-vis de nos collègues est inacceptable. Depuis trente ans, un mauvais procès leur est systématiquement fait par ceux qui souhaiteraient sans doute que l’économie soit enseignée comme un catéchisme et que la sociologie soit boutée définitivement hors des lycées. Suivre de telles directions dans l’élaboration du nouveau programme, c’est envoyer un bien mauvais signal à toute la communauté éducative comme à nos communautés scientifiques qui ont beaucoup d’estime pour les Sciences économiques et sociales enseignées au lycée. C’est, surtout, ne pas tenir compte de l’appréciation très positive qu’élèves et parents d’élèves portent à cette discipline. A l’heure de la gouvernance où exigence délibérative et politiques publiques sont indissociables, le procédé que vous avez choisi choque et va à l’encontre de toute logique d’élaboration rigoureuse des connaissances savantes et pédagogiques. De surcroît, le groupe d’experts que vous aviez constitué pour écrire le nouveau programme n’a pas, quant à lui, eu le temps ni les moyens de travailler dans des conditions satisfaisantes. Aussi, le résultat n’est-il pas digne de l’enjeu pédagogique que méritait cette réforme. C’est ce que rappelle notre collègue François Dubet dans sa lettre de démission : « si nous avons travaillé sérieusement et dans un climat apaisé, nous avons travaillé très vite, nous n'avons eu le temps de consulter personne et le Cabinet du ministère a sensiblement transformé notre projet ».
Monsieur le Ministre, acceptez de rouvrir ce dossier et permettez qu’une vraie et large concertation ait lieu, avec tous les partenaires directement concernés, pour écrire un programme à la fois pluraliste et ambitieux. La proposition de programme de l’APSES, fruit de la réflexion d’acteurs de terrain, est un solide document de travail pour la reprise de la discussion.
Le programme diffusé par votre administration privilégie, a contrario, une approche anti-didactique faisant bien trop de place à la microéconomie. L’économie générale est négligée, la place de la sociologie est minorée, quant à la science politique elle est simplement ignorée. Or, la vocation des Sciences économiques et sociales est d’apporter à nos élèves des outils rigoureux et utiles pour comprendre le monde contemporain dans son ensemble. Au regard des trois critères scientifiques qui sont les nôtres, à savoir le pluralisme théorique, la pluridisciplinarité qu’offrent les sciences sociales, économiques et politiques et la réflexion critique et citoyenne qui en découle, nous considérons dès lors que le programme que vous voulez imposer constitue une régression.
Monsieur le Ministre, un programme scolaire doit tenir compte des évolutions et des conquêtes scientifiques. Il doit correspondre notamment à ce que la communauté scientifique reconnaît comme heuristique. Par conséquent, nous vous appelons à remettre les sciences sociales au cœur des programmes de Sciences économiques et sociales.
Car, le programme que vous entendez instituer, par son étroitesse théorique, préparerait bien mal les élèves de l’enseignement secondaire aux filières de l’enseignement supérieur, universités, classes préparatoires et grandes écoles telles que les Instituts d’études politiques. Parce que son contenu est pauvre et monocolore, il va rendre la formation des élèves de la filière ES difficilement compatible avec ce que nous enseignons et avec ce vers quoi nous les professionnalisons.
Monsieur le Ministre, si ce programme reste en l’état et si vous n’acceptez pas de le revoir profondément en associant l’ensemble de la communauté des enseignants et des chercheurs des sciences humaines et sociales de l’enseignement secondaire et supérieur, nous serons, aux côtés des membres de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES), parmi ses plus vifs opposants.
Pour toutes ces raisons rapidement évoquées, nous sollicitons de votre part une audience afin de débattre avec vous de ces revendications.
Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre très haute considération.
Julien FRETEL, président de l’AECSP (Association des Enseignants et Chercheurs en Science Politique)
Frédéric NEYRAT, président de l’ASES (Association des Sociologues Enseignants du Supérieur)
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