samedi 4 avril 2009

Réflexions pour les 20 ans de l’Association des Sociologues Enseignants du Supérieur (ASES) ... Par Claude Dubar

L’ASES a eu vingt ans au début de 2009. C’est l’âge de l’entrée dans la maturité. Le bel âge. C’était un samedi de janvier 1989 dans l’amphi Poincaré du Ministère de la Recherche (ex Ecole Polytechnique). Nous étions une trentaine. Mobilisés par un appel signé Catherine Paradeise et Pierre Tripier. Pour fonder une Association selon la loi de 1901, pour la défense et la promotion de la sociologie dans l’enseignement supérieur. Pourquoi ?

La première raison, me semble-t-il, était de conjurer le risque de voir disparaître le mot ‘sociologie’ des intitulés des sections du CNRS en pleine réforme (encore !). De fait, ça a failli se faire. De justesse, la section 36 a rajouté le mot : elle est devenue ‘Sociologie : normes et règles’. Mais des laboratoires de sociologie se sont fait rattacher à d’autres sections : les labos de sociologie du travail à la 40, ceux de sociologie des religions à la 37 (je crois) etc. Lutter contre la LIQUIDATION ou la marginalisation de la sociologie, défendre l’existence et la visibilité de la discipline était une priorité. Même si ça n’était pas la question principale…

La seconde raison, plus importante, était l’information. La plupart des enseignants-chercheurs de sociologie vivait, à l’époque, dans l’ignorance quasi complète de ce qui se passait hors de leur université, leur région ou leur petit réseau. Qui fait quoi, où et avec qui ? Ces questions restaient sans réponse ou avec des réponses très partielles. D’où l’idée de faire un bulletin qui, enfin, renseignerait sur les personnes, les intitulés, les lieux de la sociologie, en France. Il s’agissait aussi de décloisonner le petit monde de la sociologie (entre 400 et 500 enseignants-chercheurs, à l’époque) en faisant communiquer parisiens et provinciaux, enseignants dans les sections de sociologie (une quarantaine, à l’époque) et ailleurs, syndiqués et non-syndiqués etc. Le BULLETIN devait servir à ça : faire connaître, créer des liens, informer.

La troisième raison de s’associer était sans doute la plus importante : introduire un fonctionnement DEMOCRATIQUE, une instance de réflexion et de mobilisation, une vie collective au sein des enseignants de la discipline. Les syndicats ne remplissaient pas ou plus ce rôle : ils apparaissaient à beaucoup sclérosés et impuissants. Et puis leur rôle était ailleurs : défendre le corps professionnel, lutter pour une Université plus efficace et plus juste, défendre et promouvoir les critères scientifiques de gestion des carrières, améliorer les débouchés etc. L’association, elle, grâce à son fonctionnement collectif et transparent (AG, CA, Bureau, votes à bulletins secrets etc.) devait veiller à ce que la discipline toute entière soit valorisée, consultée, prise en compte. Qu’elle ne soit pas noyée dans des ensembles non identifiables ou sans fondement de recherche. Bref, il s’agissait de lutter pour que la sociologie soit bien reconnue comme discipline scientifique et non comme simple servante de tel ou tel ‘ensemble’ à la mode (d’info-com à la gestion) sous prétexte de ‘professionnalisation’.

Ce qui ne signifiait pas, au contraire, que l’association se désintéresse des DEBOUCHES de l’enseignement sociologique. Je me souviens des interventions de Renaud Sainsaulieu dans ce sens, dès la première assemblée. Je me souviens de débats passionnés autour de la question des DESS (ancêtres des Masters professionnels) et de l’importance d’y faire apparaître, jusque dans leurs intitulés, la sociologie (fallait-il parler de sociologie professionnelle voire de sociologie d’entreprise ?). L’ASES devait permettre de mettre en commun les préoccupations de tous les collègues concernant cette question polémique : à quoi sert la sociologie ? Répondre qu’elle sert à connaître ‘la’ société ne pouvait plus suffire : n’a-t-elle pas à voir aussi avec ses transformations ? Ce n’est ni Marx, ni Durkheim, ni Weber qui répondraient négativement.

J’insiste sur un dernier point qui était aussi déjà présent à l’origine : la PEDAGOGIE. Comment apprendre la sociologie à des étudiants qui n’ont pas vraiment choisi positivement de suivre ses enseignements. A la fois des étudiants de sociologie, plus orientés par l’échec que par des raisons ‘positives’ et des étudiants d’autres cursus qui ne voient peut-être pas ce que la sociologie peut leur apporter. Comment ne pas limiter l’enseignement de la sociologie à des cours sur les théories et les grands auteurs ? Comment permettre aux étudiant d’apprendre à ‘faire de la sociologie’ et non pas à en parler vaguement. Comment faire de l’enseignement de la sociologie l’apprentissage d’un métier (ou de métiers) et une initiation à l’entrée dans un groupe professionnel pluraliste au sein duquel chacun pourrait s’exprimer, trouver des ressources, poursuivre ses objectifs. Vaste chantier !

Quel bilan, vingt ans plus tard ? Loin de moi l’idée d’en dresser un. Mais je permets une première assertion : l’ASES et la sociologie à l’université existent toujours et ont résisté à des épreuves redoutables : la fondation de l’AFS (2002), la réforme du 3-5-8 (LMD) et des cursus ‘professionnalisés’ (passage du DEUG à la Licence et des DEA-DESS aux masters) limitant les parcours privilégiant la recherche (2004), les réformes en cours de l’Université (loi LRU 2007), du CNRS (Instituts) et surtout du statut des enseignants-chercheurs (2009). Elle a failli sombrer mais elle a tenu bon. Elle a perdu des adhérents mais en a retrouvé. Je risque une seconde remarque : les objectifs identifiés par les ‘fondateurs’ en 1989 se sont avérés les bons. Il faut informer les collègues (Vive Internet), il faut faire vivre la démocratie, il faut discuter des débouchés, il faut parler pédagogie. On peut toujours avoir une vision pessimiste de l’avenir de la sociologie (baisse des effectifs d’étudiants/ dissolution dans des ensembles dits professionnels), cela ne fait que renforcer l’urgence de se rassembler, d’en parler, de se mobiliser, de se faire entendre, d’innover. Je préfère conclure par une note d’espoir : jamais la sociologie –ouverte sur l’histoire et l’économie, l’anthropologie et les sciences du langage- n’a été aussi nécessaire pour comprendre la crise que traverse le monde. Jamais elle n’a eu une plus belle carte à jouer que celle d’aider à comprendre ce qui nous arrive, à comparer des dynamiques, à anticiper des alternatives. Rien ne justifie le ‘sauve qui peut/ chacun pour soi’ : la sociologie possède les armes pour le démontrer.

Claude DUBAR
Laboratoire Printemps
UVSQ


Liste des anciens présidents de l’ASES :
Catherine Paradeise,
Pierre Tripier,
Maryse Tripier,
Bruno Péquignot,
Philippe Cibois,
Daniel Filâtre,
Régine Bercot,
Charles Gadéa

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